samedi 26 décembre 2015

Le retour: un temps stratégique de réflexion pour rendre le voyage formateur




Le temps du retour prend des formes très différentes suivant les types de voyage. Au simple retour physique rapide des déplacements professionnels, les voyages touristiques ajoutent des émotions sensibles à tenter d’exprimer et de communiquer. Ces tentatives s’en tiennent souvent à de brèves exclamations : « Ah que c’était beau! Que c’était bien! ».

Aller plus loin, nécessite déjà d’arracher un temps précieux aux autres et aux urgences qui se sont accumulées : classer les photos, les notes; provoquer une réunion pour fêter le retour et tenter de communiquer quelque chose à un environnement mobilisé par autre chose. Faire un débriefing, une réunion bilan, une séance d’évaluation, un rapport ou un compte rendu systématique fait partie intégrante des voyages d’étude. Mais rien n’est socialement prévu ou prédéfini pour réfléchir après coup, les voyages d’aventure, de recherche et d’explorations plus personnelles, inédits.

Aussi, leur apport demeure-t-il souvent insuffisamment exploité, personnellement et socialement. Le retour sur l’ampleur de l’investissement mobilisé demeure ridiculement faible. Se réfugier trop vite dans la gratuité et l’indicibilité de l’effort est se priver et priver la société d’un moyen expérientiel majeur de formation humaine : la formation par le voyage.

Un retour à long terme
Pour moi, cette route vers la Terre de feu dépasse de beaucoup le voyage touristique. Elle s’inscrit explicitement dans une recherche au long cours sur l’écoformation, c’est-à-dire la formation des relations à et par l’environnement. Elle s’y inscrit doublement. Par l’élément feu, dont c’est la quatrième et dernière route d’exploration à vélo, après La route du feu, du Vésuve à L’Etna (2012), la route de l’amitié, Tours-Bordeaux (2013), la route des fours crématoires en Pologne (2014). Grande reconnaissance à mes amis cyclosophes –Gérard Gigand, Bernard Heneman et Michel Maletto– qui veulent bien m’accompagner dans cette aventure écoformatrice selon leur disponibilité et avec leur propre finalité.

Mais le ciel, la terre et les vents de Patagonie m’ont fait sortir de ces découpes élément par élément. Ils m’ont fait éprouver dans cet environnement grandiose et dépouillé, quasi archétypal, de bout du monde, leur union énergétique existentielle cruciale et concrète de genèse d’un monde. Ils m’ont fait comprendre que le temps était venu d’un livre synthèse sur leur apport formateur/déformateur/transformateur. Surtout que depuis 1992, quatre ouvrages ont ponctué l’exploration des expériences formatrices avec chacun des quatre éléments : De l’air! Essai sur l’écoformation (Pineau, coord. 1992, rééd. en 2015); Les eaux écoformatrices (Barbier, Pineau, coord. 2001); Habiter la terre. Écoformation terrestre pour une conscience planétaire (Pineau, Bachelart, Cottereau, Moneyron, coord. 2005) et Le feu vécu. Expériences de feux écotransformateurs (Galvani, Pineau, Taleb, 2015). Donc le retour réflexif sur cette dernière route risque de prendre du temps. Elle implique la reprise de l’expérience et des écrits des trois routes et des quatre livres précédents.

La pertinence de cette reprise et de son travail un peu démesuré ne se justifie pas seulement par l’intérêt intrinsèque de ces routes et de ces ouvrages, mais aussi et surtout par le contexte mondial de mobilisation écologique qui les entoure. En effet, cette recherche au long cours sur l’écoformation ne se réduit pas à un simple réseau interpersonnel aux frontières des grandes institutions. Elle est portée plus ou moins consciemment par un mouvement collectif mondial de prise de conscience de l’urgence vitale de construire de nouvelles relations à l’environnement.

Le premier ouvrage sur l’air est paru la même année que la Conférence du Sommet de la Terre à Rio (1992). Et la Conférence de Paris sur le climat, du 30 novembre au 12 décembre, s’est tenue pendant cette route, 18 novembre au 14 décembre. Les deux se sont terminées quasiment en même temps. Le samedi 12 décembre a abouti à un accord historique de 195 pays pour tenter de construire un environnement viable et durable. La réalisation de cet accord ne sera pas possible sans le développement important d’une Éducation à l’Environnement et au Développement Durable (EEDD) et d’une écoformation, dont la nature et les liens sont à trouver.

D’autre part, il n’a pas été insignifiant de rouler dans le pays qui a formé un Argentin maintenant devenu célèbre par, entre autres, une lettre Sur la sauvegarde de la maison commune : Pape François, Loué sois-tu, lettre encyclique (2015). Dans le dernier chapitre, Éducation et spiritualité écologiques, il développe le défi de changer de paradigme éducatif, pour construire une éducation environnementale exigée par cette sauvegarde : « L’éducation sera inefficace et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre un nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie, la société et la relation à la nature. Autrement, le paradigme consumériste, transmis par les moyens de communication sociale et les engrenages efficaces du marché, continuera de progresser. » (p.151).

Donc de marginaux, les problèmes de formation de nouvelles relations à l’environnement deviennent centraux. Comme l’ont tragiquement propulsé les attaques du 13 novembre à Paris, les combats aux frontières se centralisent en se mondialisant. Le 12-13 novembre, dans les étapes d’approche de cette route, une communication dans un Centre Amazonien de la Frontière, dans un petit état de l’extrême nord du Brésil, Roraima, m’a ressensibilisé à la centralité stratégique des frontières.

La communication portait sur la Formation des enseignants face à la politique mondiale. Oser faire face à cette politique mondiale, est oser entreprendre d’apprendre à ouvrir le champ de conscience à de nouvelles situations. Pour se faire, il est éclairant de prolonger au niveau planétaire la distinction puissante de Paolo Freire, entre éducation bancaire et éducation conscientisante. Pour contrer la mondialisation galopante d’une instruction bancaire soumise aux lois du marché, il est nécessaire de développer une conscientisation planétaire des liens environnementaux enchaînant les quotidiens à l’échelle du monde. C’est ce que vise l’écoformation : transformer les rapports d’usage en rapports de sages.

Un retour à chaud
Dans cette dynamique, j’aimerais simplement communiquer sur ce blogue ce qui est remonté à chaud de ce périple auto-co-éco-formateur. Je l’ai déjà écrit sur le livre d’or de La Chanchita. C’est une réflexion en action. Elle a pris la forme d’un court aphorisme, type aïku, et d’un poème descriptif un peu plus long.

La courte formule a émergé dès le départ, suscitée par l’ouverture des larges horizons et la référence à une citation d’architecte - Le Corbusier - fournie par Michel. Elle a mûri en cours de route pour arriver à la formulation suivante :

Quand l’œil voit loin,
L’esprit se détend.
Il se déprend de l’égo.
Et tend vers le cosmos.

Le poème s’est composé en cours de route. Il a émergé au premier lever de la Chanchita, dans la splendeur environnementale de la Laguna de la Zeta à Esquel, illuminée de soleil et encadrée de monts enneigés.

C’est un autre poème – Je t’offrirai la terre, d’un auteur peu connu, Pierre Dumilan – qui est alors remonté et qui a été échangé. Peu à peu une version patagonienne s’est composée, au fil de la route, de ses visions et réflexions. Son titre -Flammèches de la Tierra del Fuego- veut souligner les limites de l’expression face à l’illimité de ce qu’il y a à exprimer.

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