Voici le récit des derniers jours dans les mots de nos cyclosophes.
Le 1er décembre 2015 / Punta Arenas
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Détroit de Magellan |
Passage du détroit de Magellan
Malgré la précaution de Manu de nous faire passer la nuit
sur le débarcadère, le bac est parti sans nous. Recherche difficile de supermercardo chilien… Finalement, nous
avons dévalisé un Cosco chilien
n’ayant ni oranges, ni jambon. Le moral est quand même monté petit à petit et
nous avons pris la route pour l’autre bac à Punta
Delgada… 100 km plus loin. En route, nous croisons une estancia de
1876… des photos suivront.
À côté d’un kilomètre de camions, nous avons pu
embarquer rapidement et nous débarquons enfin sur la Tierra del Fuego sous un soleil radieux. Nous avons tous été émus
de naviguer 500 ans plus tard dans les mêmes eaux que Magellan et de débarquer
sur cette terre légendaire de la fin del
mondo.
30 kilomètres nous conduisent à Cerro Sombrero. Nous y passons la nuit. Petite ville à la gloire
des travailleurs du pétrole qui constitue une des principales richesses de la Tierra del Fuego.
Le 2 décembre 2015
Une route proche de la déroute. Après apparemment être
tombés d’accord sur la seule route bien
asphaltée à prendre, la Chanchita et
les cyclistes prennent deux routes différentes. Si bien que vers 16h, aucune jonction entre les deux ne s’est établie.
L’inquiétude
déjà présente depuis 14h fait
émerger différents scénarios, voire la
panne, l’accident, une assalto (attaque) de la Chanchita. Nous constatons que même le téléphone de secours donné
par Manu ne fonctionne pas. Les pires scénarios sont imaginés.
50 km plus loin
en route de cailloux, la Chanchita se pointe. Après 150 km de
recherche, elle est elle-même très
ébranlée par la chaussée très caillouteuse. On repart pour San
Sébastian, un des deux passages - frontières entre le Chili et l’Argentine
sur la Tierra del Fuego.
Ces péripéties se déroulent dans la région où se situe
l’ouvrage de Cavalier seul de
Patricio Mannes, conseillé par Guy Le Boterf. Il relate la colonisation de cet
espace à la fin du 19e siècle avec le génocide des premiers habitants de la Tierra del Fuego. On recommande aussi le
livre de Francisco Coloane, Tierra del
Fuego.
Ces deux auteurs chiliens, traduits en français, mettent
magnifiquement en culture, l’histoire
interculturelle mouvementée, souvent tragique, du peuplement de ces contrées où
s’affrontent de façon quasi archétypale vents, terre, eau et soleil sous leurs multiples formes. Voir ne suffit pas, essayer de savoir un peu est nécessaire
selon le conseil de Lanzman auteur - entre autres - du Lièvre de Patagonie.
Les 3 et 4 décembre 2015
Le retour en Argentine. Passage de la frontière Chili –
Argentine
Nous quittons la frontière en vélo toujours dans les
paysages de steppe en espérant que les virages nous favorisent par rapport au
vent.
Pendant ces deux jours, le vent se révèle la variable
dominante. Soufflant d’habitude de l’ouest, et nous allant vers le sud, il nous
fallait composer avec des vents de travers. Les virages à gauche, tel
qu’attendus, étaient porteurs d’espoir de moindre effort. Mais, facétie de la
Patagonie, ce jour-là Éole est passé de l’ouest à l’est, nous apportant, de
plus, un coup de fraîcheur inattendu, sans parler de la difficulté à maintenir
le cap lorsque des voitures ou camions nous doublaient.
Comme toujours, la Chanchita est apparue au bon moment et
nous a menés jusqu’à Rio Grande.
Après le remplissage des réservoirs de diesel et d’eau, Manu nous a trouvé un
espace pour la nuit près de l’Estancia
Menendez. Bien que les cyclistes aient été exposés aux éléments, c’est Manu
qui s’est farci une bronchite en voie de guérison le 6.
Le matin du 4, réveil dans la pluie glaciale. Prenant notre
courage à deux mains, c’est en
Chanchita
que nous allons jusque
Tolhuin. Là, nous avons visité le musée des
Selk’nam. C’est là que le support des vélos rend l’âme, et à partir de là, nous
devons compter seulement sur les vélos.
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Bernard et Gaston |
Ces vélos sont sous la haute
surveillance technique de Bernard. Selles, dérailleurs, axes de roue, moyeux, freins,
gonflage, qui quotidiennement nous permettent d’affronter même les routes
caillouteuses. À notre grande surprise, les avaries ainsi contrôlées, nos
montures tiennent la route.
Manu réussi à trouver un poste de soudure et à
faire même les soudures nécessaires. Nous n’avons jamais eu un si beau support
à vélos. À Tolhuin, en vélo, on
quitte la route droite de la steppe et
des environnements désertiques pour retrouver les routes de montagnes.
On s’achemine jusqu'à
60 km de Ushuaïa en campant au bord
d’un lac habité par des castors, sous la garde de trois affectueux chiens. Belle
promenade champêtre de Gaston et Bernard autour du lac. Paysage de sorcière avec
des arbres improbables couverts de lichen.
Michel nous a gratifié d’un poulet à
la diable, qui nous a heureusement distrait des pâtes de Bernard, qui n’avaient
rien de la saveur italienne. Les compétences culinaires de Gaston le cantonnent
à un rôle d’incomparable plongeur.
Le samedi 5 décembre 2015
Jour éminent de l’atteinte de l’objectif
À notre grande surprise, le temps est très favorable, bonne
température, vent discret. Partant du lac, la surprise fut dans la montée de
12-15 km vers le paso Garibaldi. Ouf!!!
La densité de la forêt, les paysages, les cascades et les
torrents, l’immense lac Fagnano, la neige, la redécouverte des sommets des
Andes nous enchantent après la grande monotonie de la steppe.
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Canal de Beagle |
Descente bienheureuse pour les derniers km avant de voir
s’inscrire
Ushuaia aux portes de la
ville. Il nous restait 6 km à franchir dans la zone industrielle avant
d’atteindre le centre de la ville et le panneau de la
Fin del mundo.
Cela méritait, pour certains, une messe d’action de grâce,
et pour tous, bière et
parilla (viande
grillée) argentine, fuégienne et festive. Sur ce, nous avons dormi au bord du
Canal de Beagle.
Dimanche 6 décembre 2015
La matinée s’est passée en mer, à la recherche
des manchots, otaries, cormorans et
île des Éclaireurs avec son phare, qui nous a donné un
franc recul pour admirer la majestueuse baie d’
Ushuaïa.
D’un des rares matins ensoleillés, nous avons brusquement
été projetés dans le froid et le vent patagonien proverbial et devenu pour nous
presque familier.
Nous projetons maintenant dans la douleur d’aller visiter le
cimetière, en se souvenant que l’on est dans un endroit qui jadis fut un
bagne. Et visite du
Musée del fin del mundo,
avant les festivités programmées.
Puis, nouvelle nuit
à la fin du monde avant de repartir vers un monde plus septentrional et
paradoxalement plus chaud.