Le
temps du retour prend des formes très différentes suivant les types de voyage.
Au simple retour physique rapide des
déplacements professionnels, les voyages touristiques ajoutent des émotions
sensibles à tenter d’exprimer et de communiquer. Ces tentatives s’en tiennent souvent
à de brèves exclamations : « Ah que c’était beau! Que c’était
bien! ».
Aller plus loin, nécessite déjà d’arracher un temps précieux aux autres
et aux urgences qui se sont accumulées : classer les photos, les notes;
provoquer une réunion pour fêter le retour et tenter de communiquer quelque
chose à un environnement mobilisé par autre chose. Faire un débriefing, une réunion bilan, une
séance d’évaluation, un rapport ou un compte rendu systématique fait partie
intégrante des voyages d’étude. Mais rien n’est socialement prévu ou prédéfini
pour réfléchir après coup, les voyages d’aventure, de recherche et
d’explorations plus personnelles, inédits.
Aussi, leur apport demeure-t-il souvent
insuffisamment exploité, personnellement et socialement. Le retour sur
l’ampleur de l’investissement mobilisé demeure ridiculement faible. Se réfugier trop vite dans la gratuité et
l’indicibilité de l’effort est se priver et priver la société d’un moyen
expérientiel majeur de formation humaine : la formation par le voyage.
Un retour à long terme
Pour
moi, cette route vers la Terre de feu
dépasse de beaucoup le voyage touristique. Elle s’inscrit explicitement dans
une recherche au long cours sur l’écoformation, c’est-à-dire la formation des
relations à et par l’environnement. Elle s’y inscrit doublement. Par l’élément
feu, dont c’est la quatrième et dernière route d’exploration à vélo, après La route du feu, du Vésuve à L’Etna
(2012), la route de l’amitié,
Tours-Bordeaux (2013), la route
des fours crématoires en Pologne
(2014). Grande reconnaissance à mes amis cyclosophes –Gérard Gigand, Bernard
Heneman et Michel Maletto– qui veulent bien m’accompagner dans cette aventure écoformatrice
selon leur disponibilité et avec leur propre finalité.
Mais
le ciel, la terre et les vents de Patagonie
m’ont fait sortir de ces découpes élément par élément. Ils m’ont fait éprouver dans
cet environnement grandiose et dépouillé, quasi archétypal, de bout du monde, leur
union énergétique existentielle cruciale et concrète de genèse d’un monde. Ils
m’ont fait comprendre que le temps était venu d’un livre synthèse sur leur
apport formateur/déformateur/transformateur. Surtout que depuis 1992, quatre
ouvrages ont ponctué l’exploration des expériences formatrices avec chacun des
quatre éléments : De l’air! Essai sur l’écoformation (Pineau,
coord. 1992, rééd. en 2015); Les eaux
écoformatrices (Barbier, Pineau, coord. 2001); Habiter la terre. Écoformation terrestre pour une conscience planétaire
(Pineau, Bachelart, Cottereau, Moneyron, coord. 2005) et Le feu vécu. Expériences de feux
écotransformateurs (Galvani, Pineau, Taleb, 2015). Donc le retour réflexif sur cette dernière route risque de prendre
du temps. Elle implique la reprise de l’expérience
et des écrits des trois routes et des quatre livres précédents.
La
pertinence de cette reprise et de son travail un peu démesuré ne se justifie pas seulement par l’intérêt
intrinsèque de ces routes et de ces ouvrages, mais aussi et surtout par le
contexte mondial de mobilisation écologique qui les entoure. En effet, cette
recherche au long cours sur
l’écoformation ne se réduit pas à un simple réseau interpersonnel aux
frontières des grandes institutions. Elle est portée plus ou moins consciemment
par un mouvement collectif mondial de prise de conscience de l’urgence vitale
de construire de nouvelles relations à l’environnement.
Le premier ouvrage sur
l’air est paru la même année que la Conférence du Sommet de la Terre à Rio (1992). Et la Conférence de Paris sur le
climat, du 30 novembre au 12 décembre, s’est tenue pendant cette route, 18 novembre
au 14 décembre. Les deux se sont terminées quasiment en même temps. Le samedi
12 décembre a abouti à un accord historique de 195 pays pour tenter de
construire un environnement viable et durable. La réalisation de cet accord ne
sera pas possible sans le développement important d’une Éducation à
l’Environnement et au Développement Durable (EEDD) et d’une écoformation, dont
la nature et les liens sont à trouver.
D’autre
part, il n’a pas été insignifiant de rouler dans le pays qui a formé un Argentin
maintenant devenu célèbre par, entre autres, une lettre Sur la sauvegarde de la maison commune : Pape François, Loué
sois-tu, lettre encyclique (2015). Dans le dernier chapitre, Éducation et spiritualité écologiques, il
développe le défi de changer de
paradigme éducatif, pour construire une éducation environnementale exigée par
cette sauvegarde : « L’éducation
sera inefficace et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas aussi de
répandre un nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie, la société et la relation à la nature. Autrement,
le paradigme consumériste, transmis par les moyens de communication sociale et
les engrenages efficaces du marché, continuera de progresser. » (p.151).
Donc
de marginaux, les problèmes de formation de nouvelles relations à
l’environnement deviennent centraux. Comme l’ont tragiquement propulsé les
attaques du 13 novembre à Paris, les combats aux frontières se centralisent en
se mondialisant. Le 12-13 novembre, dans les étapes d’approche de cette route,
une communication dans un Centre Amazonien
de la Frontière, dans un petit état de l’extrême nord du Brésil, Roraima, m’a ressensibilisé à la centralité stratégique des
frontières.
La communication portait sur la Formation
des enseignants face à la politique mondiale. Oser faire face à cette
politique mondiale, est oser entreprendre d’apprendre à ouvrir le champ de
conscience à de nouvelles situations. Pour se faire, il est éclairant de prolonger
au niveau planétaire la distinction puissante de Paolo Freire, entre éducation bancaire et éducation conscientisante.
Pour contrer la mondialisation galopante d’une instruction bancaire soumise aux
lois du marché, il est nécessaire de développer une conscientisation planétaire
des liens environnementaux enchaînant les quotidiens à l’échelle du monde. C’est
ce que vise l’écoformation : transformer les rapports d’usage en rapports
de sages.
Un retour à chaud
Dans
cette dynamique, j’aimerais simplement communiquer sur ce blogue ce qui est
remonté à chaud de ce périple auto-co-éco-formateur. Je l’ai déjà écrit sur le
livre d’or de La Chanchita. C’est une
réflexion en action. Elle a pris la
forme d’un court aphorisme, type aïku, et d’un poème descriptif un peu plus long.
La
courte formule a émergé dès le départ, suscitée par l’ouverture des larges
horizons et la référence à une citation d’architecte - Le Corbusier - fournie
par Michel. Elle a mûri en cours de
route pour arriver à la formulation suivante :
Quand l’œil voit loin,
L’esprit se détend.
Il se déprend de
l’égo.
Et tend vers le
cosmos.
Le poème s’est composé en cours de route. Il a
émergé au premier lever de la Chanchita,
dans la splendeur environnementale de la Laguna
de la Zeta à Esquel, illuminée de soleil et encadrée de monts enneigés.
C’est un
autre poème – Je t’offrirai la terre,
d’un auteur peu connu, Pierre Dumilan – qui est alors remonté et qui a été
échangé. Peu à peu une version
patagonienne s’est composée, au fil de la route, de ses visions et réflexions.
Son titre -Flammèches de la Tierra del
Fuego- veut souligner les limites
de l’expression face à l’illimité de ce
qu’il y a à exprimer.